Lexique
Au cas où vous ne l’aviez pas encore remarqué, la nourriture est partout, la gastronomie est à la mode. De télé-réalité dramatique à d’improbables égotrips en intraveineuse, il est aujourd’hui de bon ton de s’improviser chef, critique, expert en burgers (kebab, fish’n’chips, croque-monsieur, au choix), photographe ou styliste culinaire, goûteurs d’avant-garde ou d’arrière-trains (très utile pour se faire des amis dans les rédactions), etc. Ce phénomène, s’il apparaît tout à fait innocent au premier abord, a un prix sémantique. Même si je suis sûr qu’il y en a bien d’autres, voici une première liste de 7 expressions de « foodistas* » qui font saigner les oreilles et que vous n’avez pas fini d’entendre :
1. Food (nc)
Désigne la nourriture en anglais, mais en français, c’est un truc vachement plus cool que la simple nourriture. C’est la même différence qu’il y a entre la vie et la survie, tu vois ? Un foodiste, ce n’est pas un survivor, c’est un omnivore, c’est-à-dire qu’il est allé à tous les festivals. Tu vois ?
2. Foodtruck (nc)
Désigne ce qu’on aurait appelé autrefois une baraque à frites, mais comme ça ne sonne pas bien ou trop belge, on a une fois de plus eu recours à un anglicisme cache-misère. Le « camion à nourriture » est une unité de cuisine mobile dans laquelle deux à trois personnes crèvent de chaleur pour vous préparer des burgers d’auteurs généralement surtaxés et surestimés pendant que vous crevez de froid sur le bitume. Comptez entre 20 et 45mn avant la pneumonie.
3. Tuerie (nc)
Désigne un met qui est tellement bon que tu pourrais en décéder. Quiconque y goûte se voit touché par la grâce, une forme de grâce très virile qui cogne comme un coup de poignard dans le cerveau de ton coeur, et qui émotionne les papilles. Le terme est malheureusement utilisé au sens figuré, nous attendons impatiemment le chef qui créera une achèverie. Vite.
4. Gourmand (adj)
Désigne n’importe quoi qu’on trouve bon, sans pour autant savoir pourquoi. Si un serveur vous dit de son « asperge, clous de malletier, huile de coude, émulsion de levrette » que « c’est un plat très gourmand », ça veut souvent dire qu’il trouve le plat appétissant. Mais en plus sophistiqué. De même qu’il ne se trouve pas banal, mais normcore.
5. Snacker (v)
Désigne un aliment quasi-cru qui vous rassasiera tant il est dur à digérer, et ce malgré la minuscule portion que vous venez d’avaler. Une carotte snackée, c’est une carotte crue, bien que vaguement tiédie par un mec tatoué, mais qui a grave la swag. Dans les années 60, on l’aurait trouvée BATH, la carotte.
6. Mandoline (nc)
Désignait autrefois un simple instrument de musique aussi passé de mode que le Kale. Parfait complément dans une phrase contenant le verbe « snacker », cet instrument simplificateur et abrutissant est devenu le couteau suisse de la cuisine, destiné à masquer l’absence de connaissances chez les apprentis TopChef qui n’ont pas envie de faire la différence entre émincé, julienne, brunoise, bâtonnets, paysanne, sifflets et mirepoix.
7. Ca vient d’où ? (exp)
Désigne l’expertise non-dite. La bienséance m’empêche de répondre spontanément à cette question, mais est-ce si important de savoir d’où la tomate vient en plein mois de décembre** ? La vaine et longue énumération de marques dont on va juxtaposer les produits ne fait certainement la qualité d’un repas. Du beurre Bordier aux légumes de Thiébault en passant par le pain Cherrier – quelle que soit la qualité de la sélection et sans remettre en cause les producteurs -, c’est une logique d’ostentation, pas de savoir-vivre.
Vous avez des suggestions ?
*Si vous vous demandez ce qu’est un foodista, cliquez ici
**Contentons-nous d’éviter la tomate de décembre avant de nous lancer dans un concours de name-dropping.
Matthieu Lévy-Hardy says:
Ça déchire
Lukas says:
Billet pas tendre.
De manière générale, les anglicismes sont agaçants. Mais le pire dans le tas est probablement « tuerie ».
« Snacker » ou « Mandoline » ça me gêne beaucoup moins dans le mesure où ça reste du langage correct et courant.
Quelques-uns qui me viennent à l’esprit:
« Une adresse qu’on aurait envie de garder pour soi »
–> Va donc manger tout seul et laisse-nous en paix.
« Le spot » (à burger, du moment, etc)
–> Où quand le foodie rencontre le skateur.
« C’est malin »
–> Copyright M6
« Rooftop »
–> Une terrasse sur le toit, bordel.
« L’explosion de saveurs en bouche »
–> no comment.
Je critique mais j’en utilise moi-même certains, surtout dans le but de fleurir mes écrits.
Wai-Ming Lung says:
Merci pour les suggestions. N’oubliez pas que cet article contient de vrais morceaux de mauvaise foi 🙂
Domdom says:
On lâche rien parce qu’on kiffe cet article grave (bordel).
Nicolas de Rouyn says:
Belle pièce de rédaction.
Respect.
Wai-Ming Lung says:
Merci, Maître 🙂
Missglouglou says:
Avec Nicolas, on est sur du malin légèrement snacké. C’est presque une tuerie tellement ça vous prend aux tripes.
Travellingfoodista says:
Ta recette d’asperge sauce hollandaise « revisitée » : une belle mise en bouche!!! De la cuisine d’auteur ‘