Ceci est le Meilleur Éditorial du Monde
Éditorial

Ceci est le Meilleur Éditorial du Monde

Tout d’abord, ne nous méprenons pas sur le sujet de cet article : il ne s’agit pas de contester les mérites d’untel ou unetelle, mais de tenter de réintroduire la notion de mesure dans les qualificatifs, et mitiger la surenchère de prix que l’on remet à nos artisans à tours de bras.

Champion du Monde !

A une époque où la simplification – quand ce n’est pas le simplisme – l’emporte systématiquement sur une vérité a fortiori complexe, que raconte-t-on lorsqu’on décerne le prix de « Meilleur Pâtissier du Monde » à Jessica Prealpato (cheffe pâtissière du Plaza Athénée), comme à Pierre Hermé, Dominique Ansel ou Cédric Grolet auparavant ? Outre le fait qu’on vous fait faire la queue et pré-mâche le High Tea, la première question que l’on devrait se poser, c’est « par qui ? », or cela, personne n’en a cure. Je vous donne la réponse au cas où vous l’ignoriez, il s’agit des World’s 50 Best Restaurants. Plus communément appelé les 50 Best, soit les ennemis jurés du Guide Michelin, soit d’après eux-mêmes « un panel d’experts internationaux composé à part égale de plus de 500 femmes, qu’elles soient chefs, journalistes gastronomiques et gourmets cosmopolites ». Etrangement, ce classement si souvent décrié en France par les aficionados du Michelin devient soudain parole d’évangile dès lors que les Français arrivent en premier. Passe encore qu’on retire le nom de l’émetteur pour n’en garder que le titre ronflant, le superlatif, il n’y a que ça de vrai. C’est imparable.

Champion du Monde de quoi ?

En plus local et plus curieux, il y aussi le Championnat du Monde de Pâté Croûte qui, depuis 10 ans, réunit les amateurs de la chose, et a décerné le titre de Champion du Monde en 2018 à Daniel Gobet de So Good Traiteur. Ce qui pouvait ressembler à une blague un peu potache (en effet, pour organiser un championnat du monde, il aurait d’abord fallu que le sujet intéressât… le monde), devient alors l’objet de débats passionnés, mais aussi une source de fierté pour l’impétrant qui s’est vu récompensé. Certes. Mais ce n’est pas fini.

En effet, j’ai également découvert ces dernières semaines l’ASOM – l’Association de Sauvegarde de l’Œuf Mayonnaise – qui vient de remettre le titre de «Champion du Monde de l’Œuf Mayonnaise» à Clément Chicard, chef du Bouillon Pigalle. Une fois de plus, il ne s’agit pas de dire que le prix n’est pas mérité ou que le lauréat est un imposteur – si je kiffe moins la pâtisserie, j’adule l’œuf mayo, et adore le pâté croûte – mais n’aurait-on pas d’autres œufs en neige à fouetter que de prendre tout le temps tout le monde par la main en balançant des médailles en chocolat ? Et l’exploration, alors ? La curiosité ? La découverte ?

Trop de couleurs distrait le spectateur

Sans compter qu’à vouloir devenir expert en tout, on devient jouisseur de rien. Il faut désormais des guides pour s’y retrouver dans les guides et les classements, alors que tout ce qu’on voulait, c’était mettre les pieds sous la table. Au lieu de cela, nous subissons sans arrêt les boursouflures égocentriques d’un aréopage de bouffeurs désabusés. Or le plaisir est souvent taiseux et se passe volontiers de la faconde stérile des critiques gastronomiques. Classer, c’est figer. Nommer un premier déclasse tous les autres. Posé dans la vitrine d’un musée culinaire, la cuisine perd de son essence, une essence éphémère par nature, et se meurt.

C’est pour toutes ces raisons que je crée ici, ce jour le premier et dernier Prix du Meilleur Editorial Culinaire du Monde, et m’auto-décerne le prix de Champion du Monde, comme ça. Parce qu’après tout, c’est qui qui dit qui qui y est.

Il serait temps d’arrêter de nous les classer.