Sur Mesure par Thierry Marx, Mandarin Oriental, Paris
Thierry Marx, qui voulait remonter à la capitale depuis belle lurette, précédé de sa solide réputation de sorcier du moléculaire, était attendu telle Gisèle Bundchen au défilé Victoria’s Secret : une star devant des amateurs transis se pourlèchant les babines, la bave aux commissures. Pressenti un moment sur le projet de rénovation de la Samaritaine, c’est finalement au Mandarin Oriental, le nouveau palace de la chaîne asiatique qu’il pose ses bagages et ses faux airs de Bruce Willis du food.
Sans que cela n’ait une influence décisive sur le volet gustatif, je dois d’abord vous avouer, ô lecteur adoré, que Patrick Jouin me gave. Patrick Jouin, c’est le décorateur qui a déjà commis le Jules Vernes à la Tour Eiffel, ainsi que son petit frère le 58 et Oth Sombath, avec moult détails agaçants, de gimmicks qui, entre bling-bling et toc, donnent aussi rarement faim qu’un documentaire sur la famine au Sahel.
Et le Sur Mesure de Thierry Marx n’échappe malheureusement pas à la règle, dans les couloirs de ce cube beige qui rappelle un cabinet d’esthéticienne où l’on a plus envie de se faire épiler que de manger. Voilà, c’est dit. Mais passons à l’essentiel, c’est-à-dire l’assiette. L’amuse-bouche (Navet Kabu structure et déstructure), servi avec un très bon champagne Inflorescence de Cédric Bouchard, annonce clairement la couleur, on ne vous facilitera pas la tâche. Du minimalisme des ramequins de verre jusqu’à l’ascétisme du dressage, on ne cherchera pas à vous séduire, il vous faudra conquérir et garder tous vos sens bien aiguisés.
Puis, le soufflé démoulé, potimarron et truffe, subtil et gracieux, et plus appuyé en saveurs, ne laisse pas plus de place au lyrisme. Le Saint Joseph blanc Cuilleron « Saint Pierre » de 2009 jette des rayons de soleil sur un matin plutôt frisquet.
Par bonheur, le foie gras poêlé, semoule de chou-fleur, pomme et citron confits, se révèle moins cérébral et se met à parler aux papilles plutôt qu’aux méninges déjà sollicités, pendant que le Fiefs Vendéens Haut des Clous du Domaine St Nicolas 2009, à la texture de satin duchesse vient titiller l’animalité du dégustateur.
Sur la lancée, le Semi-Pris de coquillages, longuet Caviar, servi avec un Sancerre « Nuance » 2010 de Vincent Pinard, prend des allures de pièce de résistance, juché sur sa bulle de verre glacée. Un mélange de texture et d’iodes aux accents familiers et surprenants qui ne manquent pas de séduire. Probablement la réussite de la soirée.
Le risotto de soja aux huîtres et truffe noire qui suit ne contient pas de riz , et ne laisse pas un souvenir impérissable. Le manque de transformation fait que le soja cru domine paresseusement. Le Mâcon Verzé 2005 du Domaine Leflève n’y changera rien, même si ce fut un de mes vins préférés.
Il est encore tôt pour la pente descendante, on n’a pas eu droit au solo, mais déjà le cabillaud, daikon, grenade et déclinaison de cresson donne une impression de fin de concert. Malgré une cuisson impeccable, c’est Brahim Asloum qui se présente dans le short de Mike Tyson. Sans compter que le Riesling Albert Mann 2008, trop sec, manque de minéralité face à la finesse des produits.
Fort heureusement, le cochon de lait confit, croustillant, salsifis et châtaignes venait redonner un peu de vigueur à une tablée certes joyeuse, mais dont l’intérêt se dispersait sur des sujets qui n’avaient désormais plus grand chose de culinaire. Surprise ou effet de manche, le vin était un vin de table Les Rouliers de Henri Bonneau.
Pour conclure la dégustation, nous étaient proposés une Sweet Bento & Ylang-ylang qui ne manqua pas de confirmer l’influence japonaise de Maître Marx, puis un Tatin Spirit au sucre un peu trop prononcé pour être honnête, mais dois-je vous répéter mon peu d’intérêt pour la phase dessert ? Oui ? Bon, voilà, c’est fait.
Audit
Le communicant pourrait conclure son analyse par la suivante : de bien belles idées, mais la campagne manque d’un concept fort qui permette une expression à 360°. Le storytelling – et par conséquent l’expérience client – manque de rythme et l’exécution ne laisse guère de place à la poésie. C’est bien dommage, car que Thierry Marx ait des choses à raconter, qu’il soit pétri de talent, il n’y a aucun doute possible. David Biraud, sommelier transfuge du Crillon, fait par ailleurs un travail complémentaire remarquable, bien que – trop ?- démonstratif.
Virtuose vs Technique
Mais ce qui demeure du repas, en dépit de ses qualités et sa recherche qui laissent sur place nombre de concurrents en ce bas monde, c’est un sentiment d’inachevé et de rétention, qui fait penser que le chef ne s’exprime pas pleinement. On aimerait voir autre chose que de la technique et de la discipline, si poussées soient-elles, et ne garder que le souvenir d’une longue soirée grisante. Mais point de griserie avec vue panoramique sur le couchant ce soir-là, davantage une démonstration sur la puissance du moteur de la voiture.
Sur Mesure par Thierry Marx
251, rue Saint-Honoré 75001 Paris
Tél. +33 (0)1 70 98 78 88
Site Internet
Avec un grand merci à F pour l’organisation, et à la secte du Fabianisme pour la soirée