Meat Manifesto
Éditorial

Meat Manifesto

Il est des débats qui fatiguent avant même qu’on ne les ait commencés. Parfois, ce n’est rien d’autre qu’une querelle de clochers, or dans les clochers, il y a des cloches. Ainsi pour une bonne marmite de confusion à la daube de querelles, prenez un aficionado, plongez-le dans une marmite avec un anti-corrida intoxiqué aux préjugés préalablement commandés sur internet, laissez mariner, pourrir aussi longtemps que vous le souhaitez, et vous aurez toujours une magnifique discussion ratée.

Doctrine

Il en est de même lorsqu’on évoque le végétarisme, voire le végétalisme, pour les victimes les plus avancées. Utilisateur avancé de la fourchette et de la baguette, je n’ai eu de cesse d’entendre monts et merveilles à propos de ces régimes qui ressemblent tant à des doctrines. Doctrine sur la souffrance des animaux, doctrine sur l’environnement, doctrine sur la vie en général, sur l’hygiène de vie… de même que de manière pernicieuse, l’écologie en politique semble indissociable du dogme socialiste (du moins d’une pensée de gauche), il semble souvent impossible de décorréler le végétarisme d’une encombrante idéologie qui consiste à culpabiliser le consommateur d’animaux morts.

Passons sur le débat politique, parlons de petits plats et de grands plaisirs puisque c’est notre propos ici. Que mange-t-on de bon lorsqu’on s’abstient de toute protéine animale dans l’assiette ? C’est là que bât blesse. J’ai eu la chance de découvrir les douceurs des plats végétaliens dès ma tendre enfance, grâce à une gouvernante très pratiquante qui me concoctait myriades de plats traditionnels taoïstes dès que l’occasion s’y prêtait : une cuisine aussi riche en goût et variée que faire se peut, utilisant au maximum la palette de saveurs des légumes et des épices, puisant dans une science séculaire la connaissance des très versatiles ingrédients que sont le riz et le soja. Un régal dont on ne manquait jamais de repartir repu. Repu et content ? Pas toujours. Et surtout repu.

Un seul être vous manque

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Fut-il une vache, un porc, un faisan ou un veau, fut-il vivant ou mort. Le corps – et a fortiori le palais – a une mémoire. De la douleur certes, mais aussi du plaisir, or qui a connu le plaisir du repas carné se souviendra toujours du goût de la viande, comme un fumeur se souvient de la sensation de la cigarette. Les sens s’éduquent, l’éducation reste. D’aucuns prétendront le contraire, que la viande ne leur manque pas, qu’ils se sentent mieux ainsi. Rassurez-vous, ils ont juste la mémoire courte : une amnésie gustative volontaire qui oblitère un plaisir sciemment bloqué, un bromure psychologique qui écrase une pulsion somme toute naturelle. Certes, on peut se sentir mieux car la digestion est plus facile, mais à quel prix. Le libre arbitre consiste aussi à pouvoir préférer une digestion plus lente à aller faire un squash après le repas.

Ôter les saveurs de la viande de la cuisine d’un chef, c’est – quoi qu’on en dise – interdire à un peintre d’utiliser une partie de la gamme chromatique, à un musicien d’utiliser certaines notes. Ca peut être un parti pris d’où peut surgir un génie – pictural si vous êtes un Soulages, musical si vous êtes un Schoenberg, ou littéraire si vous vous appelez Pérec – mais pour l’immense majorité, c’est un pur handicap, et le résultat toujours frustrant. Aucune saveur dans la cuisine végétalienne ou végétarienne que j’ai goûtée n’a pu combler ce trou béant (et par pitié, ne me parlez pas de la fausse viande hachée qui circule actuellement sur les réseaux sociaux).

Du plaisir et du fonctionnel

Alors, ne soyons pas aussi extrémistes que ces militants qui viennent vous rabattre les oreilles avec leur forme magnifique qui fleure bon la propagande Herbalife. Les chaînes de production de la viande bovine et ovine doivent être profondément revues, pour une question de qualité, car du bien-être des animaux dépend le nôtre. L’élevage est un autre sujet, mais il est important d’en être conscient. Tourner le dos à un élevage industriel néfaste à la santé, oui, mais il est hors de question de se passer de notre plaisir sensuel.

Un repas qui met en valeur toutes les saveurs s’apparente à une bonne nuit de sommeil à l’hôtel après une bonne soirée entre amis, tandis que celui qui se contente de celles imposées par le végétarisme évoque un arrêt à la station-service sur les bords de l’autoroute pour mettre de l’essence. Ne confondons pas le plaisir et le fonctionnel.

 

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