Fäviken
Restaurants

Fäviken

Notre avis : 4/5

Rares sont les occasions aussi belles pour évoquer Des Esseintes en partance pour Londres, s’arrêtant à la gare, songeant à quel point le voyage dans l’humidité de la calèche, avec la buée qui recouvre les vitres, le plongeait déjà suffisamment dans sa destination pour renoncer à la destination-même. Fäviken en ce sens est un candidat huysmansien de premier ordre.

Cette adresse a été testée anonymement

Odyssée

Pensez donc : un vol de Paris à Stockholm, puis un autre de Stockholm à Östersund, puis une voiture pour se frayer une chemin sur les routes glacées et monochromes de l’hiver scandinave où le moindre virage ressemble à une chevauchée sur une savonnette sauvage… jusqu’à un village digne d’un film d’horreur pour adolescents, où d’austères bâtisses de bois se terrent en silence dans la neige, au milieu de rien, groupées mais jamais blotties. Avec un peu de chance, vous avez pensé à acheter des clopes avant. On a beau être à quelques kilomètres de la station de ski d’Åre, station de ski olympique la plus huppée du pays, rien n’y fait, c’est la solitude qui prédomine. Il ne manquerait plus qu’un marcheur blanc de Game of Thrones pour compléter la scène.

Minimalisme

L’accueil vous donne l’impression de faire irruption dans la chambre d’un surfer : pas de réception à l’hôtel, à peine y a-t-il quelqu’un pour vous accompagner dans les chambres douillettes mais minimalistes, avec toilettes et douches sur le palier. S’il n’y avait cet accent finlandais s’échappant du sauna, il y aurait comme un air de service militaire. Fort heureusement, vient enfin l’heure du repas, seuls moments d’abondance et de générosité venus récompenser le voyageur de son périple au nord du mur ! Un grand soulagement s’il en est, avec un apéritif aux petits bonheurs multiples qui se prolonge jusqu’à ce que, dans la baraque en bois, sonne l’heure du dîner.

Faire fi des manières militaires du chef (Magnus Nilsson était absent lors de mon passage) et de ceux plus obséquieux du directeur de salle est un pré-requis. Le premier tape dans les mains afin d’obtenir le silence lorsqu’il a besoin d’annoncer les plats, tandis que le second vous répond généralement sur le ton d’un majordome dont vous êtes trop pauvres pour payer les gages.

Points d’orgue

Enfin, arrivent les assiettes. Gardons en mémoire une saint jacques « i skalet ur elden » extraordinaire, cuite avec la coquille sur des branches de genévriers et dont l’eau de mer a été réinjectée à l’envoi. Une texture charnue et légèrement croquante, des iodes fines parfaitement équilibrées. Gardons la patte de crabe royal au dressage austère et à l’intense saveur, flanquée de crème « presque brûlée » qui exprime tout son juteux en bouche. Puis gardons des bouchées plus inattendues, comme le porridge de graines de Jämtland aux carottes fermentées et au bouillon de bœuf filtré dans de la mousse, une quintessence du terroir qui rappelle les conditions climatiques et les impératifs de conservation. Gardons aussi le pudding d’os à moëlle et le lait givré. Mais n’oublions pas la fin de soirée, passée à siroter du Kilchoman autour d’un brasier sous le tipi à l’extérieur !

Le reste entre – et c’est déjà beaucoup – dans la continuité d’un voyage incroyable.

Au final, la destination vaut-elle les efforts déployés, telle est la question. Il y a des arguments dans les deux sens, le plus contraire concerne le prix : prisonnier, vous vous délestez de 3000 couronnes suédoises (environ 285€) pour le menu unique, en plus des 1750 couronnes (environ 166€) pour un pairing. Mais il faut encore compter 2500 couronnes (environ 237€) pour la chambre sans salle de bain, avec certes un beau petit-déjeuner, soit un total de 7250 couronnes (environ 690€) pour le tout, hors transports. On pourra ajouter à l’argument du prix, celui d’un service inexistant.

Le pour et le contre

Parmi les arguments en faveur, on trouvera un lieu tout de même incroyable, une cuisine qui dépayse à l’image des champignons d’arbre grattés à des fins d’infusion, un terroir rude, ce mélange étonnant entre la fraîcheur de certains produits qui viennent s’opposer aux procédés de conservation les plus variés, entre fermentation, fumage, séchage, et macération… une palette restreinte pour une poésie naturelle à la dureté d’un conte nordique dont le décor est planté au milieu d’un désert blanc.

Si vous en avez les moyens, foncez-y, car on peut se demander combien de temps va durer ce petit miracle qui doit autant au talent de son chef qu’à sa situation exceptionnelle sur un mappemonde. Face au succès et à une réputation désormais internationale, il est à craindre pour Fäviken une dérive à la Disney, une fuite sur-jouée et poseuse, qui rappelle à quel point une licorne a besoin de magie et de mystère pour survivre, et non de gloire.

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Notre avis : 4/5